Après avoir participé aux moments clé de la révolution aves mes compatriotes (manifestation du 14 Janvier, La Kasbah 1,2…), j’étais aux anges, pleine d’enthousiasme et d’espoir même si j’ai compris que les choses allaient mal tourner, d’ailleurs comme dans toutes les révolutions à travers l’histoire où de longs moments de crise politique, sociale, et économique ont eu lieu avant que les choses ne se rétablissent. Et c’est ce qui est en train de se passer maintenant.
Après un long accouchement révolutionnaire, notre plus grand acquis, c’est la liberté, d’où un bouillonnement culturel : des initiatives privées ont vu le jour (cafés culturels, galeries, projets variés et innovateurs…) en dépit d’une aide étatique quasi-inexistante.
En tant qu’enseignante et activiste culturelle et sociale ayant souffert de plusieurs contraintes avant la révolution et remarqué que les maisons de jeunes et de culture n’ajoutaient rien à la jeunesse tunisienne, au contraire, ces espaces installaient un grand vide socioculturel et, comme la nature a horreur du vide, il était urgent de semer cette aridité, de la meubler, de redonner espoir à des générations et des régions entières en créant des points de rencontre entre de petites communautés de jeunes intellectuels afin de faire face à la marginalisation et tout ce qui en résulte (ignorance, drogue, exode, terrorisme et même autodestruction et suicide).
Pour ma part, j’ai essayé, à la manière d’un colibri, de faire de mon mieux pour donner naissance à de bonnes générations futures prêtes à porter le flambeau et œuvrer pour un avenir meilleur. Je m’adressais aux enfants et jeunes ainsi qu’aux femmes. En effet, ils présentent, à mon avis, les piliers de la société. En effet, pour avoir une société épanouie et faire face à toute forme d’obscurantisme, il faut tout d’abord commencer par assurer l’émancipation de la femme en lui garantissant tous ses droits les plus légitimes dont je cite le droit à l’instruction qui est la base de tous les autres acquis, car, une fois émancipée, cette première école mènera le navire à bon port.
Pour toutes ces raisons, je m’intéresse surtout aux zones rurales et aux régions de l’intérieur, là où les gens sont le plus confrontés aux difficultés (pauvreté, ignorance, chômage, vide, rupture de l’école, injustice sociale, et terrorisme dans certaines régions frontalières telles que Semmama, Mghilla…). Les enfants n’ont aucun accès à la culture, ni au divertissement. Revisiter le patrimoine immatériel local et mondial était mon choix vu sa richesse et son bienfait immédiat sur toutes les catégories d’âge : une solution pour permettre à des gens, des arts, et des talents de voir le jour sans pour autant s’enfermer sur soi. Au contraire, les projets que j’ai créés et auxquels j’ai participé (voir annexe) sont axés sur la tolérance et la convivialité.
Mon choix, c’est d’encadrer le maximum de jeunes afin de voir autrement l’école et surtout la langue étrangère, d’accepter, respecter, et aimer l’autre quelle que soit sa différence (parler une langue une universelle, celle de l’art). Concernant les femmes rurales et plus précisément les artisanes de la région de Kasserine, on a opté, en collaboration avec Adnen Helali (mon collaborateur dans tous les projets) pour la redécouverte du patrimoine immatériel en le mariant avec d’autres patrimoines et d’autres formes d’arts internationales, joignant ainsi l’utile à l’agréable (sources de créativité mais aussi de vie pour les artisanes dans les régions intérieures léguées aux oubliettes depuis des décennies et transformées en zones militaires fermées après la révolution). A ce sujet, quand j’ai assisté au séminaire du Lobby européen des Femmes en 2013, à Bruxelles, j’ai parlé surtout des femmes rurales de mon pays et j’ai insisté sur la priorité d’installer l’égalité entre femme et femme avant de parler de celle entre femme et homme.
Alors, en jouissant d’une grande part de liberté après la révolution, on a pu travailler et se déplacer avec moins de censure sans trop s’arrêter sur les dégâts postrévolutionnaires et l’exaspération de certaines conditions, on a pris ces contraintes comme source d’inspiration et une sorte de tremplin pour faire un bond vers l’avant pour surmonter ensemble ces moments pénibles ; et, à l’instar de Mahmoud Darwich, le grand poète palestinien, je dirais « Il y a sur cette terre ce qui mérite vie ».
Après différentes expériences, on devient, de plus en plus convaincu que la multiculturalité est la meilleure solution pour faire face aux maux du siècle dans la mesure où elle enrichit la société sur tous les niveaux, elle fait de nous des « palmiers » bien enracinés dans notre sol mais à la fois avec la tête, le regard, et l’esprit penchés vers le ciel, un ciel ouvert sur le monde entier.
Au lieu de pleurer sur les ruines, comme toutes les femmes libres et révoltées de mon pays et du monde entier, j’ai choisi, en partenariat avec mon conjoint l’artiste et activiste Adnen Helali, de m’atteler à la tâche avec les moyens du bord, d’aller sur les pas de mes aïeules et de poursuivre ce long chemin épineux pour les beaux yeux de mon pays et de ses enfants qui sont aussi les miens
*Chiraz Belghith, enseignante et activiste